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La Curée de Zola - Les Rougon-Macquart, tome 2
Auteur > Emile Zola
Editeur > Le Grand Livre du mois
Collection > Les trésors de la littérature
Série > Les Rougon-Macquart, tome 2
Genre > classique, roman naturaliste
Date de parution > 1871 dans l'édition originale, 1999 dans la présente édition
Nombre de pages > 264 (589)
(sources : Evene, Bac de français & L'internaute)Né en 1840, après une scolarité moyenne et trois ans de galère, Emile Zola trouve un emploi dans une librairie grâce auquel il rencontre nombre d'écrivains et se lance dans le journalisme. Mais depuis son adolescence il n'a cessé d'écrire et, en 1867, sort son premier roman, Thérèse Raquin. C'est grâce au cycle romanesque des Rougon-Macquart, grande fresque sociale et familiale, qu'il obtient le succès et le confort matériel. La fin de sa vie est marquée par son engagement républicain et par sa lutte pour la justice. Il a en effet soutenu le Capitaine Dreyfus, victime d'un complot antisémite ; en témoigne l'article célèbre publié dans l'Aurore, J'accuse !. Condamné à un an d’emprisonnement et à 3 000 francs d’amende, il doit quitter la France le 18 juillet 1898. A son retour, en 1899, injurié, radié de l’ordre de la Légion d’honneur, abandonné par une grande partie de ses lecteurs, il meurt asphyxié par le poêle de son bureau en 1902. Une foule rendit hommage pendant ses obsèques à celui qui avait osé mettre en jeu sa notoriété au nom de la morale; parmi eux des mineurs venus spécialement du nord .Grand observateur du sujet humain, Zola développe dans ses romans une analyse "naturaliste" de ses personnages. Citons parmi ses romans les plus connus, L'Assommoir, Nana ou Germinal.
(source : éditions Pocket)Aristide Saccard est le spéculateur véreux par excellence, l'enrichi impudent né des bouleversements du Baron Haussmann, lancé à la curée du Paris du second Empire. Renée, sa femme, est la parvenue dans toute sa splendeur, affolée de luxe, protectrice et amante de son gendre Maxime, incarnation du vice. Le mari ferme les yeux... un scandale peut toujours s'avérer bon à monnayer.
Le second volet des terribles « Rougon-Macquart » est le roman-reportage de « l'or et de la chair » selon Zola, que la justice menaçait alors d'interdiction pour pornographie."Au retour, dans l'encombrement des voitures qui rentraient par le bord du lac, la calèche dut marcher au pas."
Publié la même année que la Fortune des Rougon, en 1871, ce deuxième volume s'attache à suivre la destinée d'Aristide Rougon, le fils de Pierre et Félicité, et à travers lui décrit le monde de la spéculation et des parvenus. Le titre est une métaphore liée à la vénerie particulièrement violente puisque la curée désigne la portion de la bête donnée aux chiens après la mise à mort pour dominer cette meute et symbolise l'avidité féroce dont font preuve Aristide et ses complices pour démembrer les vieux quartiers de Paris.
Une famille de parvenus :
A la fin du 1er tome, nous avions laissé Aristide à Plassans où il s'était rallié au dernier moment au coup d'Etat de Louis-Napoléon et où il avait assisté à l'exécution sommaire de son jeune cousin Silvère sans intervenir.
Ici, nous le retrouvons en 1852, quelques mois après le coup d'Etat, à Paris où il est monté avec sa femme Angèle et leur petite fille Clotilde dans l'espoir de faire fortune. Leur fils Maxime est resté au collège de Plassans.
Son frère Eugène lui trouve une place de commissaire voyer adjoint à l'Hôtel de Ville, poste qu'Aristide trouve d'abord inadapté à ses ambitions mais qui va se révéler très utile par la suite en lui donnant accès aux dossiers de réaménagement de Paris.
Il change son nom en celui de Saccard dans le but de ne pas compromettre son ministre de frère. "Il y a de l'argent dans ce nom-là; on dirait que l'on compte des pièces de cent sous", se vante Aristide. "Un nom à aller au bagne ou à gagner des millions ", lui réplique moqueusement son frère Eugène (page 360).
Aristide et Angèle dans un restaurant de la
butte Montmartre
Mais Aristide rencontre un problème de taille : les fonds nécessaires pour lancer sa première spéculation.
Sa femme meurt opportunément, lui permettant, sur l'entremise de sa soeur Sidonie, d'épouser Renée Béraud Du Châtel, fille d'un magistrat mais enceinte de trois mois à la suite d'un viol et que sa tante dote de 200 000 francs ainsi que d'une propriété d'égale valeur pour la sauver du déshonneur.
Fort de l'argent de sa femme, qu'il dépouille progressivement, Aristide se lance dans une spéculation outrancière.Le règne des apparences :
Grâce à ses premiers succès, Aristide fait bâtir un hôtel particulier au parc Monceau, "sur un terrain volé à la Ville" (page 429). Zola dépeint longuement cette demeure, de l'intérieur comme de l'extérieur : Saccard étale sa richesse avec une profusion de parvenu, de manière très ostentatoire frôlant parfois le mauvais goût.
De même, il pousse sa femme Renée dans des dépenses vestimentaires folles, lui achète des bijoux coûteux alors même qu'il connaît de graves problèmes d'argent, l'important pour lui étant de donner l'illusion de la richesse. D'ailleurs, sa fortune n'est bâtie sur rien de solide, sur aucun capital mais dépend entièrement de ses talents d'équilibriste et de prestidigitateur, la ruine menaçant constamment de l'engloutir.
On se montre en fin d'après-midi lors de promenades en voiture au bois de Boulogne qui ressemblent davantage à une parade narcissique où l'on s'observe et se jauge.
Retour d'une promenade au bois de BoulogneC'est d'ailleurs dans ce souci des apparences qu'Eugène, alors ministre, réduit au maximum ses apparitions auprès de son frère, qu'un scandale menace sans cesse d'éclabousser.
Le poids de l'hérédité :
Zola continue son exploration naturaliste.
Aristide, par les lois de l'héridité, est soumis à "cet appétit d'argent, ce besoin de l'intrigue qui caractérisait la famille" Rougon, et qu'il partage avec sa soeur Sidonie (page 368). Mais le frère et la soeur les expriment de manière différente.
Alors que Sidonie, aussi intelligente qu'Aristide, trempant également dans des affaires louches, se montre effacée et discrète dans son rôle de courtière et d'entremetteuse, Aristide ne se sent pleinement heureux qu'en montant des combinaisons compliquées où lui-même se perd. Il adore manipuler les gens qu'il dupe, "rouler les autres dans la farine" autant, si ce n'est plus, qu'amasser une immense fortune !
Le milieu dans lequel il évolue conditionne également son caractère : c'est celui des spéculateurs immobiliers et des agioteurs qui répondent à son besoin "de brasser des millions" !Quant à Maxime, le fils qu'Aristide appelle près de lui lorsqu'il a treize ans, il possède les mêmes appétits de jouissance et d'argent que son père mais il a hérité de la mollesse de sa mère si bien que ce mélange donne naissance à un être lâche et inconsistant, incapable d'assumer ses actes, dépendant sur le plan financier entièrement de son père. D'ailleurs, il se soumet aux décisions des autres : celle de son père qui lui arrange un mariage avec Louise de Mareuil, celle de sa belle-mère qui lui impose son désir amoureux.
Une société décadente :
Une impression de flou et de confusion se dégage de cette société, tant au niveau des relations familiales que des barrières sociales, politiques, vestimentaires ou sexuelles.
Une grande liberté règne au sein de l'hôtel Saccard. Le père, le fils et la belle-mère font plus figure de co-locataires que membres d'une même famille. Aristide est un mari et un père absent : lui et sa femme ne partagent aucune intimité conjugale et se livrent chacun de leur côté à une vie d'adultères et de jouissances sans que cela ne les dérange; à aucun moment, Aristide n'éduque son fils, jeune homme égoïste, indifférent et déjà blasé, qui mène la vie de la jeunesse dorée, faite de luxe et de débauches; d'ailleurs, il arrive au père et au fils de partager les mêmes maîtresses.
Sur le plan politique, Zola dénonce la collusion entre les milieux d'affaires et les hommes politiques qui se laissent corrompre pour un enrichissement personnel ou une place de député.
Socialement, "les mêmes financiers, les mêmes politiques, les mêmes viveurs" fréquentent les mêmes lieux, soupers mondains ou endroits tendancieux à la mode. Hommes politiques se mêlent aux hommes d'affaires véreux, femmes du monde se confondent avec les demi-mondaines.
Les frontières s'effacent entre hommes et femmes.
Renée (dont le prénom est mixte) porte le binocle, adopte un comportement masculin avec ses amants qu'elle domine de sa volonté.
Maxime est un androgyne qui a grandi dans les jupons des femmes (qui aiment le déguiser en femme) et qui se fait entretenir par son père et sa belle-mère.
Suzanne Haffner et Adeline d'Espanet entretiennent des relations saphiques.
Tous ces personnages représentant la haute société s'adonnent à la débauche ou profitent du régime en contradiction avec le nouvel ordre moral affiché par le second empire.La nouvelle Phèdre :
Renée, qui possède tout, s'ennuie dans la vie et voudrait autre chose.
Essayage avec le grand couturier Worms
Elle s'étourdit dans un tourbillon superficiel de plaisirs et cherche par tous les moyens à pimenter sa vie (en ayant une aventure avec un inconnu rencontré dans la rue, en se rendant à un bal donné par une demi-mondaine).
"Tu n'as jamais fait le rêve, toi, d'aimer un homme auquel tu ne pourrais penser sans commettre un crime ?" lui demande un jour Maxime par boutade (page 326).
Or, cette idée chemine lentement dans son esprit jusqu'à ce qu'elle décide de commettre l'inceste avec Maxime, seule sensation capable de l'arracher au néant de son existence.
Ce désir germe pour la première fois dans la serre où Renée aime se réfugier : Zola dépeint plusieurs fois cette serre (pour laquelle il s'inspire de la grande serre du Jardin des plantes) en insistant sur les parfums voluptueux qu'elle distille, imprégnant Renée de sa moiteur vénéneuse et malsaine. C'est également là que les deux amants prennent le plus de plaisir à consommer leur union incestueuse.
Contrairement à la Phèdre de la mythologie, Renée n'ira pas jusqu'au suicide (même si on peut penser qu'elle commet un suicide social en multipliant les excentricités et en s'adonnant à la passion du jeu), peut-être parce qu'elle n'éprouve pas de remords de son inceste, ou alors seulement par intermittence.Pour conclure, une lecture fascinante du monde de la haute bourgeoisie et des ressorts de la spéculation et des expropriations, même si l'on n'éprouve aucune empathie pour les personnages. Zola brosse une peinture sans concession de la déchéance physique et morale des riches parvenus. Et comme d'habitude, ses descriptions ont une puissance évocatrice non dénuée de poésie et ressemblant parfois à des tableaux impressionnistes...
Appréciation :
Mes autres avis sur la saga : tome 1 ♦ tome 3 ♦
Crédits images : édition Fasquelle de 1906
page 429 :
"Cependant la fortune des Saccard semblait à son apogée. Elle brûlait Paris comme un feu de joie colossal. C'était l'heure où la curée ardente emplit un coin de forêt de l'aboiement des chiens, du claquement des fouets, du flamboiement des torches. Les appétits lâchés se contentaient enfin, dans l'impudence du triomphe, au bruit des quartiers écroulés et des fortunes bâties en six mois. La ville n'était plus qu'une grande débauche de millions et de femmes. Le vice, venu de haut, coulait dans les ruisseaux, s'étalait dans les bassins, remontait dans les jets d'eau des jardins, pour retomber sur les toits, en pluie fine et pénétrante. Et il semblait, la nuit, lorsqu'on passait les ponts, que la Seine charriait, au milieu de la ville endormie, les ordures de la cité, miettes tombées de la table, noeuds de dentelle laissés sur les divans, chevelures oubliées dans les fiacres, billets de banque glissés des corsages, tout ce que la brutalité du désir et le contentement immédiat de l'instinct jette à la rue, après l'avoir brisé et souillé. Alors, dans le sommeil fiévreux de Paris, et mieux encore que dans sa quête haletante du grand jour, on sentait le détraquement cérébral, le cauchemar doré et voluptueux d'une ville folle de son or et de sa chair."Lecture commune organisée par Nadou_971.
D'autres billets : Nadou_971 ♦ Elsinka ♦ Aaliz ♦ Lavinia ♦ Pampoune ♦ Anassete ♦ Bibliophile ♦ J.a.e_Lou ♦Ma 2ème participation au challenge de Lili Galipette, George & MissBouquinaix.
Ma 2ème participation au challenge d'AnGee Ersatz.
Le classique du mois de juin pour le challenge organisé par Stephie.
Ma 15ème participation au challenge de Lynnae - apparition de l'empereur à un bal aux Tuileries et allusion aux grands travaux lancés par Haussman
Ma 24ème participation au challenge de Miyuki - tous les hommes de ce roman sont tout sauf des princes charmants.
Ma 9ème partcipation au challenge de Myrtille - mythe de Phèdre revisité
« Lecture commune : Le Ventre de Paris organisée par nadou_971La Vallée des chevaux de Jean M. Auel - Les Enfants de la Terre, tome 2 »
Tags : la curée, émile zola, les Rougon-Macquart, littérature française, roman naturaliste, classique, XIXème siècle
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Commentaires
Ta chronique est juste SUPERBE !!
RDV pour la suite avec "Le ventre de Paris"
NB : c'est marrant, on a choisi le même extrait de ce livre ^_^Merci beaucoup les filles pour votre passage sur ce billet !
AnGee, je filerai lire ton billet dans l'après-midi... ce sera ma récompense pour avoir écrit une chronique qui m'attend pour mon RV du 1er mardi du mois... en ratrd, je suis en retard...
Nadou, c'est vrai qu'il y avait une chance sur les 260 pages que compte le livre pour que l'on choisisse la même citation : on est vraiment sur la même longueur d'ondes ! J'ai hésité entre plusieurs citations mais celle-ci me semblait la plus emblématique du livre !
Voir cette chronique me donne très envie de replonger dans l'univers de Zola !Je ne sais pas si tu as lu Les Rougon-Macquart en entier, mais je ne peux que t'encourager à recommencer !!! ;) Merci de ton passage ici Wolkaiw !
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Ta présentation des personnages est très intéressante, bravo!
Voici mon avis si il t'intéresse :)
http://livroscope.blogspot.fr/2012/08/les-rougon-macquart-2-la-curee.html
A bientôt!