-
Captifs et corsaires : l'identité française et l'esclavage en Méditerranée de Gillian Weiss
et aux éditions
pour ce partenariat !
Auteur > Gillian Weiss
Editeur > Anacharsis
Collection > Essais, série "Histoire"
Genre > essai historique
Date de parution > 2011 pour l'édition originale, 2014 pour la présente édition
Titre original > Captives and Corsairs : France and Slavery in the Early Modern Mediterranean
Nombre de pages > 408
Traduction > de l'anglais par Anne-Sylvie HomasselGillian Weiss est professeur d’histoire à la Case Western Reserve University de Cleveland.
Elle travaille sur l’histoire de la Méditerranée moderne et notamment sur ses rives françaises, ainsi que sur la question de l’esclavage.
Captifs et corsaires n’est pas seulement un livre qui relate l’histoire des affrontements entre la France et les Barbaresques de 1550 à 1830, date de la conquête d’Alger par la France ; c’est un tour de force.
En réglant sa focale sur les milliers de captifs français réduits en servitude dans les cités corsaires d’Afrique du Nord (au Maroc, Alger, Tunis et Tripoli) durant ces trois siècles, ce sont, en retour, de vastes pans de l’histoire de France que Gillian Weiss éclaire d’un jour nouveau.
Car elle démontre comment ces captifs, au statut incertain et toujours susceptibles de renier leur foi ou leur allégeance politique, contraignirent l’État à reconfigurer les caractères de l’identité française et à étendre son emprise sur ses régions périphériques.
Et par l’attention qu’elle porte à l’évolution de l’esclavage – d’abord considéré comme un accident de la vie, il sera peu à peu racialisé –, elle dévoile la façon dont la tortueuse lutte pour son abolition, ici en l’espèce « l’esclavage des Blancs », a pu conduire à une légitimation de la colonisation.
Un ouvrage stimulant qui, en faisant une histoire de l’idéologie de l’émancipation par la conquête, résonne de multiples échos.La piraterie barbaresque n'est pas la plus connue. Et pourtant, elle frappa les chrétiens durant 3 siècles, faisant des milliers d'esclaves capturés lors de raids sur les côtes méditerranéennes ou lors d'attaques contre les navires venant d'Europe.
Dans ce livre, l'auteure s'attache spécialement à nous décrire le sort de ces captifs, qui parfois durent attendre plusieurs décennies avant d'être libérés, les modalités de leur libération ainsi que le rôle de l'Etat et l'évolution de la perception des chrétiens sur l'esclavage. Personnellement, je m'attendais à ce que les thèmes abordés soient plus larges et touchent également aux pirates, ou soient plus descriptifs quant aux conditions de détention; malgré cette petite déconvenue, j'ai apprécié ma lecture qui a été très instructive.
Or donc, la période abordée couvre 3 siècles, de 1550 à 1830, année où la conquête d'Alger mit définitivement fin aux exactions des Barbaresques (c'est-à-dire les corsaires dont les bases se situaient à Alger, Tunis, Tripoli, et au Maroc, alors sous domination ottomane).
De 1550 à 1650, le roi ne se préoccupe pas vraiment du sort des captifs dont le rachat est entièrement supporté par les congrégations religieuses, les familles ou les régions dont sont originaires les victimes. Dans le but d'être libérés plus rapidement en limitant le prix de leur rançon, les esclaves cherchent donc à dissimuler tout signe de richesse. Il existe en outre une hiérarchie dans le traitement des rançons : sont prioritaires les femmes, les vieux, les infirmes, les chefs de famille, les marchands et les marins. Même les protestants sont rachetés dans l'espoir de les ramener sur le chemin de la vraie foi !
Les femmes, intermédiaires dans les versements de rançons d'esclaves.
«Le Rachat de l'esclave», gravure de Jacques Aliamet (1785) © Musée national de la MarinePuis le roi, s'inquiétant des risques qui les exposent à "la peste, la sodomie et l'islam", intervient de plus en plus dans le processus de libération. A partir des années 1680-1690, il commence à avoir les moyens de protéger ses sujets, même si les bombardements successifs contre Alger n'ont pas entraîné la capitulation des cités-corsaires, ils ont néanmoins conduit à la libération d'une centaine d'esclaves français. Après la révocation de l'édit de Nantes les esclaves français protestants ne peuvent plus compter que sur leurs coreligionnaires d'autres pays pour obtenir leur affranchissement, le roi de France profitant de leur captivité pour exclure ces déviants religieux du royaume.
A partir des années 1700, la libération des esclaves français devient une affaire d'Etat qui effectue des libérations massives, que ce soit par le paiement de rançons ou par l'échange de prisonniers musulmans, enchaînés sur les galères royales. Une injonction est d'ailleurs faite aux voyageurs s'aventurant en Méditerranée, leur demandant de se munir de certificats attestant leur qualité de "Français et regnicole" dans le but de permettre leur rachat.
Mercédaires exhibant des esclaves rachetés à Louis XIV, gravure de Franz Erlinger (1685)
- Paris, Bibliothèque MazarineLes asservissement se calment en Barbarie au XVIIIème siècle pour reprendre de plus belle après la Révolution à la suite des conquêtes françaises successives en Europe.
Au début du XIXème siècle, l'Angleterre et la France souhaitent unir leurs forces pour se débarrasser de la piraterie et de l'esclavagisme en Afrique du Nord par la colonisation, mais c'est la France qui finalement passe à l'acte en conquérant Alger en 1830.Concernant les conditions de détention des esclaves, elles sont toujours difficiles mais sont plus mortifères selon l'emploi (galériens, marins), l'endroit (le Maroc est réputé infliger un traitement cruel à ses esclaves) ou les maîtres.
Si bien que certains captifs sont tentés de se convertir à l'islam pour échapper à leur misérable condition. On se convertit donc par opportunisme, généralement en raison de sa grande jeunesse, mais parfois également par dogmatisme, d'autant que la conversion s'effectue aisément : on récite sa courte profession de foi, on se rase la tête, on porte des vêtements turcs et un nom arabe, et étape la plus douloureuse, on subit la circoncision !
D'ailleurs l'évasion,risquée et trop peu souvent couronnée de succès, n'entraîne pas beaucoup de vocations, car si l'on est repris, on se voit couper le nez, les oreilles ou la langue... ce qui donne à réfléchir...Ensuite, quand on a la chance d'être libéré, le retour en France se déroule toujours selon les deux mêmes rituels de réintégration : la quarantaine à Marseille et une procession religieuse à travers le pays durant 3 mois, destinées à laver les anciens esclaves de toute souillure physique ou spirituelle.
Une procession d'esclaves rachetés. «Processie des Verloste Slaauen»,
gravure de Jan Luyken (1684) © Musée national de la MarineEnfin, la perception sur l'esclavage a évolué à travers le temps. Jusqu'au XVIIIème siècle, la perte de sa liberté en terre de Barbarie était considérée comme un accident de parcours, une malheureuse infortune (symbolisés par les récits romanesques sur la Barbarie ou les mémoires d'anciens captifs du XVIIè siècle qui ont eu beaucoup de succès à l'époque), puis l'idée de l'esclavage s'est racialisée, malgré les satires dénonçant au siècle des Lumières la dégénérescence des moeurs françaises, l'esclavage noir dans les Antilles (dont les victimes sont mises sur un pied d'égalité avec les esclaves blancs d'Afrique du Nord) et l'hypocrisie des Blancs. Mais Napoléon, à son avènement, rétablit l'esclavage noir pour se focaliser sur la libération des esclaves blancs, entérinant ainsi cette nouvelle vision selon laquelle une race pourrait être inférieure à une nôtre et destinée à l'esclavage !
Pour conclure, un livre très intéressant sur la consolidation de l'identité française à travers le rachat des captifs français. C'est très détaillé, très documenté, que ce soit en notes de bas de page ou en appendices en fin d'ouvrage. En plus, j'ai appris des choses qui m'ont beaucoup surprise : par exemple, la France considérée comme terre de liberté "de temps immémorial" par ses représentants permettait l'affranchissement immédiat de tout esclave qui posait le pied sur le sol de la métropole ; ainsi, en 1552, le duc de Guise refuse pour ce principe de rendre à un Espagnol son esclave turc ; Henri III libère également des esclaves turcs échoués d'une galère espagnole sur les côtes françaises en déclarant que "seuls les criminels sont envoyés en galère" ; ce principe de liberté s'appliquait également aux esclaves noirs en provenance des Antilles, bien que des détournements aient eu malheureusement lieu pour s'en prémunir...
Je remercie les éditions Anacharsis ainsi que Babelio pour ce partenariat !
Appréciation :
Ma 32ème participation au challenge de Lynnae -
Ma 2è participation au challenge d'Ivy-Read.
Tags : captifs et corsaires, gillian weiss, essai, histoire, littérature américaine, XXIème siècle, pirates, partenariat, anacharsis, babelio
-
Commentaires
1MF215Lundi 4 Août 2014 à 11:19RépondreJe lis assez peu d'essais, mais celui-ci a un sujet qui me passionne! J'essaierai de le trouver à l'occasion, merci de la découverte!
@Missie,
c'est vrai que c'était très intéressant, même si le sujet était davantage centré sur le rachat des captifs que sur leurs conditions de vie que j'aurais aimé voir plus développé... mais ce livre a été une belle découverte !@AnGee,
De rien, je suis heureuse de t'avoir fait découvrir ce bel essai, et j'espère qu'il te plaira si tu as l'occasion de lire...
Vous devez être connecté pour commenter